HaieSpoir For HaieVer...

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Prenez le temps de lire l'extrait d'une oeuvre boisée...

 

Extrait de l'ouvrage « La peur de la nature »« Au plus profond de notre inconscient, les vraies causes de la destruction de la nature »

de François Terrasson

Une guerre métaphysique : Le remembrement

Quoi de plus logique que de vouloir regrouper autour de l'exploitation agricole les diverses parcelles égayées aux quatre coins de la commune.

Gain de temps, gain de productivité. L'aménagement rural moderne se veut efficace et rationnel.

Le remembrement en est le fleuron. Il organise une procédure longue et complexe débouchant sur une simplification de la vie quotidienne, une avance technologique, et une ouverture sur le monde.

C'est du moins ce qu'il prétend. Et ce que nient ses opposants parmi lesquels bon nombre d'agriculteurs... Mais pour ceux qui n'y connaissent rien, rappelons brièvement les faits.


Dans une commune de la France profonde, les agriculteurs cultivent des champs souvent éparpillés. On va réunir toutes ces terres en une masse commune, que l'on repartagera ensuite en rapprochant toutes les parcelles de l'habitation et des bâtiments agricoles. Chaque terre est estimée selon un système de points tenant compte de la surface et de la qualité des sols. C'est une commission nommée par le préfet qui supervise et décide. Elle comprend :

_un président ; le juge du tribunal d'instance,

_trois délégués du directeur départemental de l'agriculture,

_un délégué des services fiscaux, le fonctionnaire compétent en matière de cadastre,

_le maire ou le conseiller délégué par lui,

_un fonctionnaire désigné par la Direction départementale de l'agriculture, pour servir de fonction de secrétaire,

_trois exploitants de la commune désignés par la chambre d'agriculture,

_trois propriétaires de la commune, élus par le conseil municipal,

_une personne qualifiée pour la protection de la nature (depuis 1975) désignée par le préfet.

A noter que si ce dernier a nommé la commission, c'est qu'il été saisi d'une demande, soit en émanant d'un groupe d'agriculteurs, soit de la commune, sans que soit nécessaire l'obtention d'une majorité.

On voit d'ici les conflits potentiels, puisque même ceux qui sont en désaccord devront se plier à la procédure.

Mais ce n'est pas pour l'instant, notre propos. Laissons partisans et opposants s'affronter, quelquefois à coups de tracteur, et voyons le résultat sur « notre mère la Terre » comme dirait les Indiens.

Une logique implacable de destruction du milieu naturel est associée au remembrement.

A son arrivée dans les pays du bocage, il créa d'immenses cimetières d'arbres issus de l'arasement des haies vives. Tas informes au milieu des nouveaux horizons ouverts, les anciens ombrages témoignaient de la puissance mécanique et de la volonté de changement.

Pour tracer de nouvelles limites, il fallait peut-être oublier un peu les anciennes. Mais on aurait pu calculer avec la volonté de sauver le plus possible de haies. C'est le contraire qui a été fait.

Une logique avons-nous dit ? On en douterait à voir les érosions, les crues amplifiées, la nouvelle puissance du vent, la rupture des équilibres faunistiques.

Un changement ? Mais tout changement est-il bon ? Celui qui fait à la vie succéder la mort, est-il vraiment un progrès ?

Et si ces derniers temps l'obsession anti-arbres du remembrement a paru se tempérer au contact de réalités écologiques désagréables, gageons que les images qui l'ont animé si longtemps sont loin d'être mortes.

Car le remembrement n'est pas une opération d'aménagement rural. Ceci n'est qu'une couverture comme on dit dans les romans d'espionnage.

Le remembrement est d'abord une machine à introduire un changement culturel contre-nature !

Il faudrait revoir tous ces films se présentant comme d'information, et montrant les habitants des bocages croupissant dans leur arriération.

Tandis que ceux qui étaient dans le vent (c'était d'ailleurs le cas de dire) et qui avaient joyeusement fait sauter toutes les haies goûtaient aux plaisirs d'une société rurale enfin urbanisée selon les normes. Indiens sans réserves, les tenants des anciennes cultures de ces pays boisés, coupés de rivières, irrigués par un dédale de chemins verts, se voyaient enfin convertis à la civilisation.

Les dépliants, les affiches, les brochures répétaient inlassablement le même thème : »Les arbres c'est la sauvagerie, la sauvagerie c'est le passé, le passé c'est de la m... » Un reporter de l'Express signalait alors ce drame significatif. La jeune fiancée du jour même, visite enfin l'exploitation de son cher et tendre. Et voilà qu'elle arrive dans un domaine où foisonnent les haies et les grands arbres. Crac ! Il n'en faut pas plus pour la rupture. Quel avenir peut-on avoir parmi les arbres ?

« C'est bien plus beau maintenant » s'extasient les partisans de ce remue-ménage gigantesque. Plus beau ? Bon, ça se discute, mais en tout cas, là, on n'est plus dans l'aménagement rural, mais dans l'esthétique et la philosophie.

Chacun trouve beau ce qui correspond à son organisation émotionnelle. Une correspondance intime et indicible s'installe entre le « regardeur » et la chose qui lui a donné la sensation de beauté.

Les amoureux du vide post-remembrement ne gèrent donc pas leurs émotions comme les amateurs de fourrés et d'épanouissement végétal.

Mais surtout ils nous font prendre des vessies pour des lanternes. C'est-à-dire leurs préférences esthétiques pour des normes techniques d'ingénierie de l'espace rural.

Ceux qui ont conduit sur le terrain l'application des sciences de la nature à la production savent bien que la technicité rationnelle conduit à de tout autres paysages : de grandes parcelles plus régulières, mais cloisonnées d'arbres sur toute une région. Alors ce qu'on a fait au paysage français est tout simplement le résultat des préférences d'une école philosophique dont le crédo est le remplacement du naturel par le Tout Artificiel.

Ce qui ne sort pas de la main de l'homme ( ou de celle de son bulldozer) n'est pas beau, pas séduisant, pas porteur, pas valorisé ! Guerre métaphysique que celle de l'homme conçu comme seule et unique valeur exterminant ce qui lui est autre, ce qui est étranger. Racisme anti-végétal qui n'est pas loin de l'autre connu, puisque c'est toujours le différent qui doit devenir conforme ou être détruit ou rejeté. Embusquée derrière les justifications économiques, cette métaphysique pointe le nez aux conversations de bistrot et surgit nue dans les bonnes colères explosives des débats publics.

Et elle est d'une double perversité. Non contente de s'attaquer seulement au véritable naturel, non-humain, réfugié, s'il existe encore en Europe, dans les coins inaccessibles, elle détruit un système équilibré de collaboration entre l'homme et la nature.

Elle démolit une autre métaphysique qui disait que l'homme peut modifier l'écosystème à son profit, mais s'interdit de le remplacer totalement par ses œuvres. Car alors, il perd tous les bénéfices énormes nés de la collaboration, de la symbiose entre projets humains et lois naturelles.

Ce que le remembrement efface, ce ne sont pas seulement les anciennes limites, les anciens chemins, les arbres et les papillons, c'est la possibilité pour l'homme et la nature de coexister, de cohabiter, de se renvoyer l'ascenseur comme on dit.

Triomphe de l'apartheid. Réserves et parcs sous cloches seront l'avenir de la nature. Quant à celui de l'homme, dans l'asphalte et le métal, s'il s'agit de parier sur lui, je serai de ceux qui ne miseront pas grand-chose...




05/08/2011
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